Le Retable de Montbéliad
Le contexte historique du retable : La région de Montbéliard est une région linguistique de type roman par rapport au type germanique. Historiquement cependant cette région était incluse dans le Saint Empire romain germanique. C'est ainsi qu'en 1407 Henriette de Montfaucon, comtesse de Montbéliard épousera Eberhard IV comte de Wurtemberg. A partir de cette date et jusqu'en 1793, la maison de Wurtemberg régnera sur le comté et les quatre seigneuries tout en respectant les franchises acquises antérieurement (1283) par la ville de Montbéliard. C'est sous le règne du duc Ulric de Wurtemberg et de son demi-frère Georges, comte de Montbéliard qu'apparaissent deux retables actuellement et respectivement désignés comme « Gothaer Tafelaltar » et « Mömpelgarder Flügelaltar » (Retable de Gotha et Retable de Montbéliard). En 1517, un moine augustinien Martin Luther va officiellement exprimer son opposition à la vente des indulgences. Il est excommunié par le Pape en 1521. Ce sera l'étincelle qui allumera une contestation socioreligieuse sans précédent dans les États germaniques (révoltes paysannes) et qui opposera des princes favorables à une profonde réforme de l'Église à des princes fidèles à leur Empereur et au Pape en matière de religion. En 1529, lors de la Diète réunie à Spire cinq princes et des représentants de quatorze villes libres font une protestation solennelle. « Nous protestons devant Dieu, ainsi que devant tous les Hommes, que nous ne consentons ni n'adhérons au décret proposé dans toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa sainte Parole, à notre bonne conscience, au salut de nos âmes ». Le mot de protestant vient de là et s'est maintenu jusqu'à aujourd'hui. Zurich est le premier canton suisse à passer à la réforme avec Ulrich Zwingli en 1523. Suivent alors les villes de Strasbourg, puis Bâle, Berne Saint-Gall, Mulhouse etc... Dès 1523 Ulric se déclare favorable à la réforme de l'Église. Il fait venir Farel à Montbéliard il s'est réfugié. Il cède moyennant finance le Comté de Montbéliard et les seigneuries annexes à son demi-frère Georg en 1526. Ulric récupère finalement son duché en 1535. Il introduit officiellement la Réforme dans le duché du Wurtemberg en 1534 et Georg fait de même en faisant venir Pierre Toussain en 1535. Les États environnants aussi bien le duché que la principauté de Montbéliard étaient restés fidèles au catholicisme : Franche Comté - possession des Habsbourg (Charles Quint) - et Belfort bastion autrichien. Très vite s'impose la nécessité pour les deux princes d'afficher leur nouvelle appartenance au parti des protestants. Ils optèrent alors pour une œuvre d'art originale qui traduirait ainsi officiellement des convictions religieuses favorables à la réforme. Ils font appel à deux personnes, l'une est Caspar Gretter pasteur, théologien et l'autre est Heinrich Füllmaurer artiste peintre à Herrenberg. Gretter a été chapelain du duc Ulrich à Montbéliard de 1524 à 1526. Le duc l'a chargé de mettre en place la Réforme à Herrenberg (35km au sud de Stuttgart) dès 1534. Il s'est lié d’amitié avec le peintre au point de lui offrir un catéchisme imprimé dont il était l'auteur. Le peintre Heinrich Füllmaurer est resté un peintre local et ne semble pas avoir voyagé. Il a peut-être été l’élève de Jerg Ratgeb (1480 ?-1526) auteur d'un retable de la passion peint en 1518-1519 pour le maître- autel de la collégiale d'Herrenberg. On ne connaît malheureusement aucune autre peinture de Füllmaurer en dehors des deux retables et de planches botaniques dessinées.
Réponses à des questions Pourquoi appelle-t-on cette peinture « Retable de Montbéliard » ? On peut être en effet surpris de cette appellation, car ce retable n'a pas été peint à Montbeliard et que son texte peint est en allemand. Nous devons cette appellation à un avocat autrichien du XIX e siècle Heinrich Modern qui était aussi grand amateur d'art. Il découvre un texte du XVII e siècle son auteur Philipp Hainhoffer courtier en œuvres d'art atteste qu'il a vu à Stuttgart dans la Salle du Trésor ducal, un retable à plusieurs volets représentant la vie de Jésus. Il spécifie que ce retable a été déménagé de Montbéliard à Stuttgart. Heinrich Modern fait alors le rapprochement avec un retable exposé au musée de Vienne dont on ignorait la provenance. Il le désigne alors comme Mömpelgarder Flügelaltar (retable à volets de Montbéliard). Comment sait-on que c'est le peintre Heinrich Füllmaurer qui l'a peint ? Un historien de l'art Werner Fleischhauer, ancien directeur du Musée de Stuttgart établit ce lien à partir des livres de comptes du duché de 1539-1540 qui mentionne un règlement de 210 florins suivi d'un deuxième règlement de 80 florins fait par le Comte Georg au peintre Villmaurer (autre forme attestée du patronyme Füllmaurer). Comment sait-on que ce retable est une œuvre protestante ? Il y a au moins quatre tableaux à caractère polémique représentant une caricature du clergé catholique et de la Papauté (La tentation de Jésus, la porte large et la porte étroite, la parabole des maisons, la parabole de l'ivraie et du bon grain). De plus, le retable est une conception architecturale catholique destinée à rehausser l'autel, lieu du sacrifice de la messe et de valoriser l'adoration du saint sacrement. Ici, il y a un détournement de la fonction ordinaire du retable pour en faire avec ses volets mobiles un grand livre biblique les tableaux se succèdent comme les mots d'une ligne de texte. Ce rehaussement et cette mise en valeur de la Bible est évidente dans la structure même de ce retable et dans l'abondance du texte biblique peint sur les tableaux. La Reforme est en effet liée à l'abolition de la messe catholique dont les protestants contestent le caractère sacrificiel répété. Comment les tableaux ont-ils été peints ? Le support est un support en bois de pin chaque tableau est constitué de planches dissymétriques assemblées sur lequel on a étendu plusieurs couches d'enduit. La peinture est dite a tempera, c'est-à-dire différente de la peinture à l'eau (aquarelle) et de la peinture à l'huile. C'est une peinture à émulsion à base d’œuf ou de colle animale. C'est une peinture qui conserve étonnamment la vivacité des couleurs. Qu 'est-ce qui est écrit sur chacun des tableaux ? C'est l’originalité de ce retable. On a placé dans le tiers supérieur du tableau du texte inscrit dans un cartouche décoré de volutes. Ce texte est en lettres gothiques. Il est extrait de la traduction du Nouveau Testament faite par Martin Luther (1521). Cette traduction avait été imprimée et largement diffusée. Mais ce qui est curieux c'est que le texte du retable ne reprend pas l'orthographe de Luther mais transpose les mots d'une façon phonétique plus proche du parler allemand en Wurtemberg (souabe). Cette curieuse transposition devait rendre plus familier le texte biblique. En quoi ce retable diffère des autres retables ? Techniquement on ne voit plus de différences de tailles entre les personnages. Cette technique du moyen âge qui valorisait certains personnages au détriment d'autres est révolue. Il en est de même pour la sacralisation des personnages. Les auréoles que l'on mettait sur Jésus et ses apôtres ont ici disparu. Le retable ne présente que des réalités terrestres (allant jusqu’à décrire le trousseau de clés de certaines femmes gérant la maisonnée). La différenciation entre Jésus et les disciples est marquante ici et pointe vers une expression de grande pauvreté (pieds nus ou simples sandales) plutôt que de divinisation. On est ici dans un espace ordinaire quotidien où chacun vit sa fonction humaine. Même la représentation de Dieu est très discrète. Elle se fait avec une irruption discrète de jaune clair qui perce les nuages ou le paysage ou l'architecture avec une représentation très estompée de la figure divine. J-P Barbier Voir quelques tableaux du retable
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